Ilios Balias van Erpers Royaards

La Revue Cénacle a été fondé par le Synode afin de nous offrir un lieu d’expression libre. La recherche scientifique et la création artistique ont cela de commun qu’elles ne peuvent réaliser leur objectif qu’à condition de disposer de cette liberté. Sans cela, la science demeure enfermée dans des conventions qui empêchent tout progrès et l’art ne peut plus repousser les limites de l’inventivité humaine.

Mais qu’est-ce qu’être libre ? C’est avant tout revendiquer son individualité, reconnaître ses propres limites et les exposer à la vue de tous sans craindre la honte ou la souffrance inhérente à la condition humaine. Être libre, c’est oser répondre à la question : « Qui suis-je ? ». Mon nom est Ilios Balias van Erpers Royaards. Il contient en lui tous les éléments à partir desquels je m’élance vers la liberté. À la fois prison et fierté, libération et conditionnement, mon nom reflète mon histoire, ma vie.

Ilios, le Soleil de l’Hellade

Le soleil ne connaît pas l’ombre qu’il projette. Partout où vont ses rayons, il voit la lumière. Et pourtant, c’est de cette lumière que se détache les ombres. Il éclaire les ténèbres mais ignore toujours ce qui demeure en elle. Je suis né avec un prénom lourd de sens et difficile à porter. Issu de la Grèce antique, titan parmi les dieux, Ilios est la prononciation moderne d’Hélios, le fils d’Hypérion et de Théia, l’astre du jour. Est-il la source de l’orgueil qui forgea ma jeunesse dans les flammes de la solitude ou son produit, le rêve d’un père qui voulait trop pour son fils ?

Ce prénom à la fois brillant et étranger (même en Grèce où nul ne le porte) a toujours été pour moi à la fois un don extraordinaire et une malédiction. Quand la vie me souriait, il me portait comme le char porte le dieu à travers la voute céleste. Mais quand le destin cruel s’en est pris à ma mère, à mon cœur, à mes amours, c’est moi qui aie dû le porter de tout son poids, comme une chaine à mon cou.

Son exigence est si grande, surtout depuis la découverte de l’héliocentrisme. Mais je béni ces savants qui m’apprirent que toutes les étoiles sont des soleils. Je n’avais plus alors à supporter la solitude absolue mais criais à qui pouvait l’entendre : « Nous sommes tous des dieux ». Ce cri dans le désert fut le début de ma voie. Mon premier pas dans la philosophie. Je ne voulais plus demeurer près du sol, comme les bêtes qui ne voient que l’herbe qu’elles broutent. Je voulais élever le regard des hommes vers les astres, leur faire prendre conscience qu’en Esprit, nous sommes tous les étoiles.

Ainsi débuta ma vie. Un soleil contrarié comme s’amusait à m’appeler mon meilleur ami. Un soleil contrarié par son propre orgueil, par l’aveuglement des hommes et la surdité de la société. Il me fallait l’affronter, entrer à l’université, étudier la langue des savants afin de crier plus fort, de porter ma voix plus loin tout en répétant toujours : « Nous sommes tous des dieux ».

Je cherchais alors ceux qui pourraient me comprendre, ceux qui avaient, par le passé, crié cette même sentence. J’écoutais Nietzsche et ne voulais pas entendre parler d’un Dieu Unique, car comment pourrions-nous être des dieux s’il n’y avait qu’un Dieu ? Alors, j’ai cherché chez les Grecs, ces Grecs qui m’avaient donné mon prénom et qui s’entouraient de tant de dieux que le ciel lui-même ne comptait pas autant d’étoiles. Mais encore le Dieu Unique guettait, ce Bien-Soleil, ma solitude abhorrée qui se cachait chez Platon. Lui était donc mon ennemi et je devais me trouver un allié pour l’affronter. C’est ainsi que je découvris Aristote qui dans sa finesse, liait avec circonspection Unité et Pluralité. J’écrivis un mémoire, le Polythéisme d’Aristote, et terminait mon master de philosophie à la Sorbonne. J’avais sauvé le Soleil de sa solitude.

Balias, la vengeance des Grecs

Pourquoi mon père m’avait-il affublé d’un prénom pareil ? Et pourquoi lui donnais-je tant d’importance ? C’est parce qu’il était grec, parce qu’il était artiste et parce qu’il ne signait jamais de son prénom. « Balias » n’a jamais été mon nom de famille, c’était la signature de mon père, le « B » inscrit partout sur les tableaux, les fresques, le portail. Le « B » du cheval d’Achille Balios d’où serait issue ce nom singulier. C’est ainsi que lorsqu’on ne peut porter son nom, on se réfugie dans son prénom.

Pourtant, rien ne m’était en soi interdit. Balias était là, disponible, ouvert et même au contraire, mon père n’attendait qu’une chose : que je m’en saisisse ! Mais le faire signifiait revendiquer son œuvre, sa solitude à lui, son orgueil encore plus lourd, plus dur que le mien. Il fallait des épaules solides capables de porter trente siècles d’histoire, l’Olympe, Athènes et la guerre de Troie. Je ne suis même pas sûr d’en être capable aujourd’hui.

Mon père, Balias, est un artiste. Il est peintre et créateur, revendiquant la suprématie sur ses œuvres et le mépris pour le monde. Il a fui la dictature des années 60 et l’orthodoxie. Son art est un pied de nez contre toute autoritarisme, un pied de nez totalitaire. Comment affronter un tel passé ? En devenant soi-même artiste, en confrontant la peinture par la poésie. En étudiant les anciens dieux pour en fabriquer de nouveaux.

La philosophie que j’avais étudié à la Sorbonne, bien que majoritairement grecque, ne suffisait plus. Il me fallait plonger dans les racines c’est pourquoi, après la fin de mes études, je partis en Grèce et entrais au Monastère de Loggovarda. J’y restais 40 jours et me fis baptiser par ces orthodoxes qu’avaient fuit mon père. Je gagnais par là même un nouveau prénom : Élias, si proche et pourtant si lointain. Du Titan solaire, je passais au Prophète du désert.

Mais cela ne suffisait pas. Pour vaincre un ennemi, il faut entrer dans son territoire, capturer ses villes et prendre ses forteresses. C’est pourquoi je décidais de reprendre des études, cette fois en Anthropologie Religieuse, afin de connaître la religion des anciens grecs. Il ma fallait savoir réellement ce qu’étaient les dieux, comment les hellènes les vénéraient, pourquoi ils avaient fini par disparaître sous les coups de l’Église et si vraiment, ils avaient disparu.

À mon retour de voyage, je commençais donc un nouveau parcours, cette fois à l’École Pratique des Hautes Études. Mais enfin, j’avais de l’expérience et je pouvais aborder ce nouveau sujet, non plus comme un étudiant mais comme un chercheur. Je savais ce que je voulais : Me libérer des Grecs comme je me suis libéré du Soleil, en les comprenant jusqu’à pouvoir les vaincre.

van Erpers Royaards, la noblesse échouée

Cette année, bénissant une loi nouvelle de la République Française, j’ajoutais au nom de mon père, celui de ma mère. Cet acte est à la fois un hommage et un nouvel orgueil.

Un hommage à cette femme qui m’a porté et éduqué, qui a mené une vie de beauté, mannequin de luxe pour les créateurs de mode, artiste-dessinatrice pour elle-même. Cette femme qui a permis au Château de Sérans de devenir ce qu’il est maintenant : un havre de création. Puis elle mourut, frappée par le cancer alors même que je commençais mes études universitaires. J’ai pris son nom pour lui rendre hommage.

Mais c’est aussi un nouvel orgueil car ce nom porte la marque de l’histoire. L’histoire cette fois de l’aristocratie européenne, de cette famille de patriciens du XVIe siècle qui vainquirent au côté de Guillaume d’Orange, l’Empire des Habsbourg pour fonder les Provinces-Unies, les Pays-Bas. Il est curieux de voir en soi-même l’orgueil nourrir la fierté et la douleur. Fierté d’appartenir à une lignée ancienne, douleur de ne pas en être le descendant légitime.

Pourtant, notre époque n’est plus aux querelles de dynasties et le nom ne signifie plus rien d’autre qu’un passé glorieux. Il n’apporte plus richesse ni statut, n’obtient plus de privilège. Il ne fait qu’inscrire une autre lignée à l’héritage symbolique, un regard qui se porte pour moi vers le nord et vient compenser l’écume des cyclades par le sifflement du vent dans les pales des moulins.

« Noblesse oblige ». Combien de fois l’ai-je entendu dire en français de la bouche de ma grand-mère qui pourtant ne parlait que bien mal ma langue natale. Que signifient donc ces valeurs que tout le monde partage ? Faut-il être né noble pour revendiquer la vertu ? Faut-il avoir du sang bleu pour espérer l’excellence ? En tout cas, il faut être stupide comme moi pour ajouter encore un nouveau poids à mon nom. Une nouvelle exigence probablement honnie de ceux qui n’ont pas d’ancêtres titrés et méprisée de ceux dont les titres viennent légitimement du père.

Et pourtant, j’ai choisi d’ignorer à la fois la haine et le mépris. De jouer sur le terrain des rêves où les chevaliers poursuivent inlassablement un Graal dont ils ignorent la nature. Mes écrits comme mes actes sont plein de cette insensée témérité car j’ai toujours refusé de vivre selon les normes, revendiquant plus pour obtenir moins mais avec la joie d’avoir, pour un instant, touché la vie véritable.

Car la vie n’est pas l’existence absconse d’une soi-disant réalité raisonnable. Elle est au contraire un élan au-delà du monde. Un cri qui poursuit inlassablement les étoiles. La vie est la poésie mise en œuvre, non plus dans les écrits mais dans nos actes mêmes. C’est ainsi que j’ai pris mon nom, je m’appelle Ilios Balias van Erpers Royaards.

Seigneur du Synode

Philosophe aristotélicien, Anthropologue des Religions, artiste grec et patricien néerlandais. Tels sont les titres que pourraient me donner ceux qui aiment les origines et les diplômes. Tels sont aussi les conditionnements dont j’ai dû lentement prendre conscience pour observer enfin sans hargne, mon point de vue sur le monde. Et pourtant, je ne suis rien de tout cela. Mais alors, « Qui suis-je » ?

Je suis… Le meilleur ami d’Adrien et d’Alexandre, l’amant d’Alexandra, le fils de Dimitrios et de Maria Christina, le beau-fils de Nicole, le frère d’Ingrid. Je suis celui qui a décidé de vouer sa vie à ses deux meilleurs amis pour fonder le Synode, un rêve de chevalerie réalisé en école de philosophie. Je suis enfin celui qui est tombé amoureux, qui a fait le tour de la terre pour fuir l’Amour et a finalement compris qu’il le portait dans son cœur.

Je suis celui que vous lisez et dont les écrits témoignent de sa liberté.

Ilios Balias van Erpers Royaards

Seigneur du Synode

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