Dans le domaine politique, le génie particulier de l’homme d’état ne se situe pas dans sa créativité ou dans ses idées mais dans sa capacité à réagir aux évènements. Nous aurions pu croire que le camouflet subit par le gouvernement lors de son échec à faire passer la loi visant à transformer le Passe Sanitaire en Passe Vaccinal serait un caillou dans la chaussure du futur candidat Macron. Pourtant, le président de la République a réussi un coup de maitre : utiliser son propre échec pour renverser intégralement le débat de la présidentielle à son avantage.

La quête du pouvoir ne devrait pas nous faire oublier la raison pour laquelle nous voulons gouverner.
Jusqu’alors, le thème central des élections avait été imposé par Éric Zemmour autour de la problématique identitaire. En effet, selon l’une des plus anciennes tactiques politiciennes, le candidat nationaliste avait choisi pour cible un segment minoritaire de la population (les musulmans immigrés) afin de constituer un discours et un narratif permettant de le placer comme chevalier blanc face à un ennemi incarné. La puissance de cette technique est due à l’usage simultané d’un élément pragmatique (un adversaire déterminé) et d’un élément idéal (la civilisation française). Ainsi, il lui était possible de poser un discours positif en utilisant l’élément idéal comme lors de ses vœux de Noël et un discours négatif en attaquant son ennemi pragmatique comme dans son clip de campagne.
Emmanuel Macron, en affirmant « emmerder » les non-vaccinés et en les déclarant indigne de la citoyenneté française reproduit ainsi le même schéma sur une nouvelle thématique : la politique sanitaire. L’ennemi naturel (la minorité à abattre) est à présent le non-vacciné et l’élément idéal est la médecine moderne. Le parallélisme entre ces deux tactiques ne s’arrête pas là : Les deux ennemis naturels représentent à peu près le même pourcentage de population, extrêmement minoritaire (entre 5 et 10%) et donc peu enclin à changer le résultat de l’élection. Les deux sont également naturellement opposés au candidat (un musulman immigré n’aurait sans doute jamais voté pour Éric Zemmour et un non-vacciné n’aurait jamais voté pour Emmanuel Macron). L’élément idéal est, dans les deux cas, caractéristique du modèle défendu par le candidat. La civilisation des clochers de village pour Éric Zemmour et la modernité technologique pour Emmanuel Macron.
Ainsi, en renversant le débat de la thématique identitaire vers la thématique sanitaire, Emmanuel Macron pose un cadre à l’élection présidentiel à son avantage et cela à quelques semaines de sa probable déclaration officielle de candidature. Il élimine également son adversaire la plus proche car Valérie Pécresse se trouve alors sans narratif particulier, elle ne fait qu’hériter d’une partie de l’électorat de François Fillon et maintient une ambiguïté entre la thématique identitaire d’Éric Zemmour et la thématique sanitaire d’Emmanuel Macron. Sa position est donc périphérique et son discours ne peut plus être qu’un commentaire des idées défendus par les principaux candidats.

Un politicien n’a de pouvoir qu’en vertu de la force de son narratif
Cependant, au-delà de la politique politicienne, il nous faut nous demander en quoi une telle manière d’aborder les débats provoque une détérioration de la sérénité sociale de la France et pourrait aboutir à une perte de stabilité de l’État. En effet, une politique sanitaire répressive est en soi une contradiction et un aveu d’échec de la part du gouvernement. En effet, si ses politiques publiques ne sont pas en mesure de réduire la tension sur le système hospitalier, c’est que les mesures prises ont été erronés. Ainsi, accuser moralement une partie du public n’est pas une solution mais une excuse à un lamentable échec.
L’erreur fondamentale de la majorité a été d’oublier que toute décision politique entraîne la formation de trois groupes : 10% de convaincus, 80% de neutres et 10% de réfractaires. En établissant une politique répressive en matière sanitaire, le président s’assure que les 80% de public neutre se vaccine au plus vite mais au prix de radicaliser les 10% de réfractaires. En l’état actuel des choses, ces derniers ne se feront jamais vacciner car ils se pensent victimes d’un complot. La question est donc entièrement détachée de l’efficacité démontrée du vaccin car les 10% de réfractaires réfutent de toute manière les chiffres avancés.
Ainsi, la seule solution viable pour permettre d’éviter les conséquences dramatiques de l’épidémie aurait été, au moins temporairement, d’arrêter la politique de privatisation de l’hôpital public, d’inverser la tendance de suppression des lits et d’augmenter voire supprimer le Numerus Closus. Certes, ces politiques ne peuvent obtenir de résultats qu’au long terme mais nous savons tous à présent que le coronavirus ne disparaitra pas par magie et que le vaccin n’est qu’un moyen de ralentir l’épidémie puisque le COVID continuera à sévir dans les pays pauvres, exclus de la vaccination, et reviendra donc périodiquement par vague dans notre pays.
Après un tel constat, comment justifier autrement que pour des raisons électorales l’acharnement contre une partie de la population qui restera, quoi qu’il arrive, réfractaire au vaccin ? La raison avancée est celle de la monopolisation des lits de réanimation par les non-vaccinés au détriment de vaccinés qui en aurait besoin pour d’autres raisons. Mais nous en arrivons alors à la raison même de l’existence des hôpitaux. Soignons-nous les gens parce qu’ils sont gentils avec nous ou parce qu’ils en ont besoin ? Contrairement à l’opinion du président de la République, les non-vaccinés sont et resterons des citoyens, ils ne peuvent pas être rejetés en dehors de la communauté car cela irait à l’encontre des deux traditions historiques de la France, le Christianisme d’une part et la République de l’autre.

La politique ne devrait pas nous faire oublier que l’objectif de la médecine est la bienveillance envers l’être humain
Le devoir d’aider les plus faibles, la fraternité et à moindre mesure, l’égalité entre les citoyens et la liberté de disposer de son propre corps sont en jeu dans ce débat. Pourtant, les dynamiques électorales semblent aller en sens inverse de ces valeurs fondamentales et le remplacement de la République par un régime autoritaire se fait de plus en plus sentir. Au début de l’épidémie, j’avais déjà proposé une analyse sur le sujet en apportant une vision philosophique visant à mettre en garde contre les dérives qu’une panique sanitaire pouvait engendrer. Nous sommes à présent à un moment critique, l’élection s’approchant, nous ne devons pas nous laisser emporter par nos bas-instincts de meute visant à hurler contre une minorité quelconque (que ce soient les musulmans immigrés ou les non-vaccinés) mais utiliser notre esprit pour produire des mesures politiques efficaces au long terme. Je souhaite également préciser que je suis moi-même vacciné et convaincu de l’efficacité du vaccin puisqu’il permet de réduire les hospitalisations. Ma démonstration n’a donc pas pour objectif de porter le discrédit sur la médecine mais au contraire de trouver une solution bienveillante et non-répressive à la situation sanitaire car la répression est contre-productive et n’apporte que plus de maux à un état déjà au bord de la faillite sociale.