
Mais toi, tu était plus profond que le tréfonds de moi-même et plus haut que le très-haut de moi-même.
J’avais conclu lors du précédent article : Les puissances de l’âme dans les Confessions de Saint Augustin, que chaque puissance possédait une particularité et un objectif qui lui était propre, – mais aussi que chacune d’entre elle ne pouvait réaliser son objectif que lorsqu’elle entrait en relation avec les deux autres. Ainsi, il y a chez Saint Augustin une interdépendance des puissances de l’âme. Cette relation entre chaque puissance s’appelle la pensée.
L’interdépendance des puissances de l’âme – la naissance de la pensée

Une vie de bonheur, n’est pas la chose que tout le monde veut et que personne ne refuse ?
Réfléchir sur chaque puissance indépendamment l’une de l’autre n’a en réalité de sens que pour montrer qu’on ne peut les penser, de manière effective, que dans leur interdépendance.
Sans la mémoire, nous ne serions pas capables d’accomplir grand-chose. Notre intelligence n’aurait pas de contenus sur lesquels réfléchir et la volonté ne pourrait pas indiquer son chemin à l’intelligence puisqu’il n’y aurait pas de lieu vers ou lui dire d’aller.
L’intelligence permet de saisir activement la réalité. Cette réalité est stockée par et dans la mémoire. L’intelligence permet l’apprentissage en tant que faculté de comprendre, et elle réalise son essence lorsqu’elle cherche dans la mémoire. C’est possible parce que la mémoire est un lieu ou sont conservés les images des choses, – que ce soit un objet, un son, une odeur, une sensation de touché, etc. L’intelligence va être orientée par la volonté et va construire la connaissance en créant des liens entre les choses. En ce sens, elle permettra à l’humain de saisir que tel chose est un instrument de musique, tel autre un outil de cuisine, etc.
La volonté est comme une personne en demande, elle veut savoir telle ou telle chose et en ce sens dépose un avis de recherche sur le mur de la mémoire. L’intelligence est son détective privé, elle va se charger d’identifier ce que recherche la volonté. Disons-le moins ludiquement : La volonté ne peut pas bouger toute seule, elle ne peut que pointer la direction dans laquelle elle veut aller. L’intelligence va ainsi se déplacer jusqu’à l’objectif désiré par la volonté. La volonté est la force mentale qui dirige l’intelligence vers les objets de la mémoire. Une fois l’intelligence en face des objets, elle les analyse. Saint Augustin dit : « Quand je suis là, je fais comparaître tous les souvenirs que je veux. ». La volonté est la puissance qui permet de faire se mouvoir l’intelligence vers la mémoire. Cela permet de faire resurgir un souvenir sur lequel l’intelligence peut réfléchir. Elle peut aussi être son propre objet ! C’est ce que nous appelons la pensée selon Saint Augustin : « Cette opération de rassembler, de réunir dans l’esprit et non point ailleurs, c’est proprement ce que l’on nomme penser. (cogitare) ». La pensée est ainsi la coordination des trois puissances de l’âme.
La pensée n’est pas sans faille

J’ai bien senti que mon âme et son âme n’étaient qu’une seule âme en deux corps.
Lorsque la volonté cherche quelque chose, l’intelligence tente de la convoquer sur le théâtre de la mémoire. Ce qui est convoqué sur le théâtre de la mémoire n’est pas toujours la chose souhaitée. De même, un souvenir peut se présenter comme étant celui recherché, mais ne pas l’être. C’est l’intelligence qui travaille à dépasser toutes les tromperies possibles.
Qu’est-ce que la pensée rend possible ?

Ô abime de la Providence qui a créé et gouverne le monde, incompréhensibles sont ses jugements, et impénétrables ses voies.
Elle rend possible son propre dépassement. Selon Saint Augustin, elle peut s’élever au-delà de la mémoire afin d’atteindre l’union avec Dieu, soit une vie authentique ! Car s’unir à Dieu, c’est s’unir à la vérité, et donc à l’authenticité de notre être.
Du livre I à VII des Confessions, Saint Augustin vit dans le vice et dans le mal-être. S’il mène une vie de décadence, c’est parce qu’il est ignorant : « Que veux-je dire, Seigneur mon Dieu, sinon que j’ignore d’où je suis venu ici-bas, en cette vie. ». Sans connaissances, il ne sait quel est le chemin de sa destinée. L’être humain a besoin d’exercer une introspection afin de retrouver l’unité qu’il a perdu après le péché originel. L’humain est ignorant parce qu’il a oublié, et parce qu’il a oublié, il se retrouve scindé, désuni, disharmonieux. D’où le besoin de se ressouvenir chez Saint Augustin. Le pire oubli de l’Homme, c’est son oubli de Dieu.
Comment retrouver Dieu, le redécouvrir ?

Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-là.
Pour cela, il faut pratiquer l’introspection et se diriger dans les tréfonds de notre mémoire. L’être humain doit se faire voyageur dans cet espace vaste et infini qu’est la mémoire. Il doit traverser plusieurs mondes. Celui des images mentales et celui de notre conscience. S’il y parvient, il atteindra un monde dans la mémoire où se situe Dieu. Ce monde est celui où se trouve ce dont nous n’avons pas connaissances. Il faut donc transcender sa mémoire afin de s’unir à Dieu. « Je dépasserai aussi cette force qu’on nomme mémoire, je la dépasserai pour aller vers vous, douce lumière. ». Cette possibilité de retrouver Dieu en soi, est offerte par la capacité qu’a l’intelligence à retrouver dans la mémoire ce que celle-ci a oubliée. Mais comment retrouver ce que nous avons oublié ? Si c’est oublié, et que nous nous souvenons avoir oublié, alors il subsiste forcément une trace de cet oubli en nous ! « Nous ne pourrions pas rechercher un objet perdu si l’oubli en était absolu. ». Imaginons que j’ai oublié quelque chose aujourd’hui, je le sais, mais je ne sais pas ce que c’est. Plus tard je rentre chez moi et je m’aperçois que j’ai un appel manqué de mon banquier, je me ressouviens alors ce que j’avais oublié, mon rendez-vous avec lui ! Ce que nous cherchons de ce fait, c’est l’image de ce que nous avons oublié ! L’image est alors la trace, le résidu persistant en nous de la chose oubliée ! Ainsi, si nous avons oublié Dieu, l’oubli n’étant jamais total, nous devons partir à la recherche de son image, qui est la trace de Dieu dans notre mémoire.
Connaitre Dieu ne suffit pas pour réussir à le rejoindre, même si c’est une étape indispensable ! Le problème avec Dieu, c’est qu’il préexiste dans la mémoire et au-delà de la mémoire. Pour le trouver, il faut vouloir ce que Dieu veut. En conséquence : il faut trouver la volonté divine avec l’intelligence, focaliser toute son attention vers Dieu, mais aussi et surtout, – il faut anéantir sa volonté propre afin de laisser la place entièrement vide à Dieu pour qu’il puisse la remplir de sa volonté divine. Car c’est seulement si Dieu accorde la grâce à celui qui le cherche que celui-ci le trouvera. C’est lors de sa lecture d’une page de la Bible prise au hasard que Saint Augustin reçoit la grâce ! Il faut chercher en Dieu pour le trouver et se reposer en lui c’est là tout le problème du divin : trouver une chose dans la chose même.
J’aimerai terminer cet article avec ceci : L’âme de l’être humain : « n’a besoin de rien de moins que de vous-même pour trouver le bonheur et le repos – d’où il suit qu’elle ne peut se suffire. », ainsi l’Homme selon Saint Augustin ne trouvera pas son bonheur en quelqu’un d’autre, ni en lui-même, mais seulement en Dieu !
A reblogué ceci sur La revue Cénacle.
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